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Dephy : l’accompagnement vers l’autonomie au cœur des changements de pratiques agricoles

Depuis 2016, des éleveurs du pays de Bray travaillent sur la réduction d’intrants au sein d’un groupe Dephy. L’enjeu qualité de l’eau est très fort sur le département de la Seine-Maritime, d’où une nécessité d’aller vers des itinéraires techniques plus durables et économes en phytosanitaires.

Les agriculteurs de ce groupe ont commencé leur engagement dans le réseau Dephy avec pour objectifs d’augmenter leur autonomie sur différents points : gagner en autonomie fourragère de leur troupeau, réduire les intrants en grandes cultures et diversifier leurs systèmes pour plus de résilience économique et climatique.

Du conseil à l’accompagnement

Changer ses pratiques agricoles pour aller vers un système de production plus durable ne peut pas s’effectuer avec des « solutions toutes faites ». Ce qui fonctionne chez l’un ne fonctionne pas forcément partout, il faut réadapter les pratiques au contexte pédoclimatique et à l’agriculteur. Changer nécessite de s’approprier de nouvelles techniques, de nouvelles connaissances et de nouveaux outils pour décider des interventions sur les parcelles : c’est un changement de métier. Souvent, cela induit de devoir faire différemment de l’entourage (semis décalé, traitement non systématique, etc.), ce qui n’est pas rassurant, d’où l’intérêt de s’investir dans un groupe avec d’autres agriculteurs partageant ces objectifs de changement. Dans le réseau Dephy Ferme, les ingénieurs réseau, qui animent les groupes, s’écartent du conseil pour adopter une posture d’accompagnement : s’adapter à chacun en co-construisant les solutions. L’autonomie en agriculture se traduit par une autonomie en intrants, mais aussi par une autonomie décisionnelle : que l’agriculteur ait les outils, les connaissances et les ressources – dont le groupe – pour décider lui-même de ses pratiques. Afin d’accompagner ce changement, il est nécessaire d’identifier les motivations de l’agriculteur (le moteur), et ensuite de lever un à un les freins (techniques, économiques, familiaux…) en rationalisant les peurs, chiffrant les risques, mettant en place des essais et s’inspirant des autres.
« Avec le groupe cultures Dephy, je recherche l’échange avec des gens qui ont le même esprit que moi, qui veulent réduire aussi, ça permet de se rassurer. Si on a un problème spécifique on peut en discuter, on s’apporte du conseil les uns les autres. Il faut sortir du tracteur et des impressions, sinon on a peur. Au début, j’ai mis du temps à changer. Je trouvais qu’on prenait des risques par rapport à ma conduite assurantielle. Il faut se dégager plus de temps d’observation. Maintenant c’est tout le système qu’on construit autour de la réduction et c’est plus rassurant. », explique un des agriculteurs du groupe.

Vers l’autonomie en intrants

Le premier pas vers l’autonomie passe par la réduction de la dépendance aux intrants extérieurs dont on ne contrôle ni le prix ni la disponibilité, que ce soit en cultures ou en élevage. Dans le réseau Dephy, c’est en premier lieu la réduction de l’usage des produits phytosanitaires qui est visée. Les motivations des agriculteurs qui veulent réduire leur recours au levier chimique sont diverses. Elles peuvent être liées à des préoccupations sanitaires, environnementales, à des impasses techniques dues à des résistances aux produits, à une volonté de passer moins de temps sur le pulvérisateur ou à réduire les charges.
Afin de réduire le recours aux produits phytosanitaires, il faut mobiliser d’autres leviers agronomiques, en combiner plusieurs afin d’avoir un système de culture plus robuste et donc moins sujet à des pressions de ravageurs, de maladies ou d’adventices.

Les leviers de réduction des phytosanitaires

Après plusieurs campagnes d’essais et d’expérimentations, des évolutions à plusieurs niveaux ont eu lieu dans le groupe :

  • des stratégies de réduction suite à de l’optimisation de traitement, en améliorant les conditions d’application ou l’efficacité des produits avec des adjuvants ;
  • des changements de stratégies dans les itinéraires culturaux, comme le fait de retarder les dates de semis, décaler le premier apport d’azote, faire des faux-semis, alterner labour-non labour, avoir des couverts végétaux plus étouffants et plus développés, introduire du désherbage mécanique (binage, herse étrille, houe rotative.) ;
  • des stratégies à l’échelle du système de culture ont été mises en place par certains : arrêt du colza, introduction de prairies temporaires en rotation, luzerne en tête de rotation, introduction de cultures de printemps, méteils ou couverts valorisés par le pâturage, meilleure valorisation des prairies. Ce sont des changements durables qui se font en lien avec l’atelier d’élevage et la recherche d’autonomie alimentaire sur l’exploitation.

Réduction d’un tiers des IFT depuis 2016

L’usage de produits phytosanitaires est communément représenté par l’indice de fréquence de traitement (IFT). L’IFT a significativement baissé au sein du groupe depuis 2016. Une richesse du groupe du pays de Bray est sa diversité : deux exploitations se sont orientées vers le bio, d’autres s’intéressent à l’agriculture de conservation, tout en essayant de maintenir une utilisation faible des produits phytosanitaires. Ces différences font que les agriculteurs ne mobilisent pas tous les mêmes leviers, ce qui permet une complémentarité entre eux et une richesse des discussions.

La réduction des IFT hors herbicides (IFT HH) est régulière, avec un minimum atteint en 2020, année particulièrement favorable à la réduction des fongicides car peu de pression maladie. L’augmentation de l’usage d’herbicides (IFT H) entre 2017-2018 a posé question au groupe. Suite à la mobilisation de différents leviers, on constate maintenant un maintien, voire une diminution des IFT herbicides ces dernières années.

Vers l’autonomie décisionnelle

Afin de gagner en autonomie dans ses choix, il est utile de savoir calculer ses marges, et de mieux connaître le fonctionnement de son outil de production.

Les calculs économiques
Une des craintes principales dans la démarche de réduction des produits phytosanitaires est la baisse de rendement et de produit brut. Afin de mieux piloter le système de culture, il est important de chiffrer les différences de produits, mais aussi les différences de charges, tant opérationnelles que mécaniques car, ce qui compte à la fin, c’est la marge « qu’on a dans la poche ». Les résultats économiques sont très importants pour prendre ses décisions techniques, et ils sont partagés au sein du groupe à chaque bilan de campagne depuis 2018, sur le blé et parfois d’autres cultures. Les indicateurs économiques sont calculés à la parcelle : charges opérationnelles, charges mécaniques, marge semi-nette. Afin de comparer les itinéraires techniques du groupe, les prix de vente des produits et d’achat des intrants sont fixés, c’est-à-dire les mêmes pour tous, afin que les variations économiques observées soient le reflet des pratiques agricoles. Les stratégies de vente et d’achats peuvent être discutées également car les prix ont un impact important sur la marge. Afin d’étudier plus finement les performances de chacun et le lien entre résultat économique et itinéraire technique, il est intéressant de détailler les charges opérationnelles.

Les formations, les outils et les essais
Avec un objectif de réduction des recours à la chimie, il est nécessaire de comprendre ce qu’il se passe dans les parcelles : connaître les cycles biologiques des adventices et des ravageurs pour mobiliser les bons leviers, se former sur le fonctionnement du sol, le cycle des éléments, etc. Lors des tours de plaine, les réussites comme les erreurs sont acceptées et commentées au sein du groupe pour nourrir les expériences de chacun. L’autonomie décisionnelle se renforce donc par des tours de plaines, des formations avec intervenants sur des sujets agronomiques, et la maîtrise d’outils d’aide à la décision. De nombreuses initiatives d’essais voient le jour, et le réflexe s’acquiert de laisser une bande témoin sans traitement quand l’agriculteur a un doute sur le niveau de risque. Par la formation, l’échange et les essais, les agriculteurs du groupe développent leur autonomie décisionnelle et la durabilité de leurs fermes.

Focus sur deux essais en cours

En année 2022, la vie du groupe fut marquée par la mise en place d’essais pluriannuels afin d’explorer d’autres leviers d’autonomie. En voici une brève description afin d’illustrer la posture “d’agriculteur expérimentateur” avec les actualités du groupe Dephy.

Maïs population
Les agriculteurs du groupe ont presque tous mobilisé le levier des semences fermières pour le blé, semées en pur ou en mélange variétal. Le travail sur les marges leur a permis de chiffrer une économie d’environ 70 euros à l’hectare réalisée grâce à cette pratique. Sur la culture du maïs, l’autonomie semencière est nulle sur le territoire et les agriculteurs sont dépendants d’achats de semences hybrides tous les ans, avec un coût à l’hectare compris entre 170 et 220 euros, voire plus si besoin de ressemer suite à des dégâts (corbeaux, etc.). Un essai de maïs population a été commencé au printemps 2022 sur deux parcelles d’environ 0,5 ha chez deux membres du groupe. Au-delà de l’autonomie semencière, l’utilisation de variété population permet d’introduire plus de diversité génétique dans la culture. Des comptages ont été réalisés en juin et en septembre sur les parcelles de maïs populations et de maïs hybrides conduites avec le même itinéraire technique. Bien que la densité de semis soit inférieure pour le maïs population, le nombre d’épis par pied et le nombre de grains par épi étaient supérieurs, compensant la plus faible densité.
Une des parcelles a été récoltée en ensilage afin de comparer la valeur alimentaire avec le maïs hybride cultivé avec le même itinéraire technique. La sélection des épis a été effectuée sur la deuxième parcelle, ensuite récoltée en maïs grain. Conservé dans un crib autoconstruit puis égrené en sortie d’hiver, un test de germination fin avril a montré un taux de levée d’environ 85 %. Le maïs de 2022 a été semé ce printemps dans des parcelles de quatre membres du groupe pour tester sur d’autres sols, différentes densités et conduites.

Autonomie azotée
Les évolutions du prix de l’azote de ces dernières années amènent les agriculteurs à réinterroger leurs pratiques de fertilisation. Ils cherchent des leviers afin de gagner en autonomie sur cet intrant dont le coût représente la moitié des charges opérationnelles pour le blé (exemple 2022 sur le graphique ci-contre). Une des manières de gagner en autonomie sur l’azote est de réduire les pertes. Autant les risques de volatilisation sont bien connus des agriculteurs, de même que les leviers pour les réduire, autant les mécanismes de lessivages sont plus complexes. Un outil est en cours d’élaboration afin d’estimer les pertes d’azote potentielles à l’automne en fonction des successions de cultures, et de reconcevoir la rotation dans l’objectif de réduction du lessivage. Les agriculteurs ont testé le prototype en 2021. En 2022, des reliquats entrée hiver ont été réalisés sur des parcelles du groupe avec différentes successions culturales afin de discuter des résultats théoriques et des mesures. L’outil étant encore en test, les retours du groupe sont pris en compte dans le calibrage de la version finale, attendue pour 2024. •

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