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Interview
« La Normandie : futur enfant gâté du réchauffement climatique ?

« La Normandie : futur enfant gâté du réchauffement climatique ? » Une question provocante mais pas aussi saugrenue à l’écoute des propos de Serge Zaka, adhérent puis administrateur d’Infoclimat dès l’âge de 14 ans, ingénieur agronome à Agrosup’Dijon à 22 ans, docteur en agroclimatologie à l’Inrae de Lusignan à 26 ans et, depuis, chercheur-modélisateur scientifique dans le même domaine. Venez l’écouter le 6 février à Louviers dans l’Eure.

« L’agriculture normande doit faire face au changement climatique mais ce sera l’une des régions les plus productives de France ». Serge Zaka ne tiens pas un discours « catastrophe » sur le réchauffement climatique mais un discours « factuel basé sur des résultats scientifiques les plus propres possible ». A contrario, au sud d’une ligne Bordeaux/Lyon, les effets négatifs seront bien plus impactants.

À quel moment de votre vie avez-vous pris conscience du changement climatique ?

« Je travaille dans la météorologie depuis que je suis très jeune, ma prise de conscience a donc été précoce. En revanche, ma prise de conscience de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture est plus tardive. Elle date du 28 juin 2019. Ce jour la, il a fait 46 °C avec 40 km/h de vent. Dans mon village, tous les végétaux dont la vigne, les oliviers, le laurier (…) ont brûlé. J’ai réalisé alors que le réchauffement climatique, ce n’était pas seulement quelques pertes de rendements ici ou là mais qu’il pouvait se traduire par des pertes très importantes en quelques heures. Autre date clé, les 6, 7 et 8 avril 2021 avec 2 milliards d’euros en raison d’un gel tardif sur floraison. »

C’est la première fois dans l’histoire de notre planète que l’homme est responsable d’un tel changement ?

« Il y a toujours eu des changements climatiques sur la planète pour causes naturelles : volcans, astéroïdes, déplacement des continents, paramètres astronomiques comme l’inclinaison de la Terre ou bien encore la distance par rapport au soleil… La grande différence par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui, c’est la vitesse de ce changement. Historiquement, les écarts de températures se sont étalés sur des milliers d’années, laissant le temps aux écosystème de s’adapter. Alors, oui, c’est la première fois que l’Homme pèse sur le climat. Les explications sont multifactorielles : gaz à effet de serre, modification des paysages, destruction des forêts, attribution différentes des terres agricoles avec notamment des pâtures qui disparaissent… »

Dispose-t-on encore d’une marge de manœuvre pour inverser la tendance ?

« Oui pour l’instant et jusqu’en 2050. Les marges de manœuvres existent mais plus on attend, plus elles vont se restreindre. Attention aussi aux boucles rétroactives positives. Je m’explique, attention aux aggravations naturelles. Si une forêt dépérit, certains arbres vont mourir. Si certains arbres meurent, le soleil va encore plus pénétrer dans la forêt et réchauffer encore plus le sol. Il faut donc limiter ces boucles de rétroactivité positive pour éviter un emballement climatique. Ce n’est pas encore le cas mais le risque est réel. »

Nous ne sommes pas égaux face à ce changement. Certaines régions du monde ont-elles plus à perdre que d’autres ?

« Si l’on regarde les choses sous un angle purement agricole, il y a du positif. Toutes les régions canadiennes, russes, biélorusses, ukrainiennes, suédoises, norvégiennes, écossaises (…) vont profiter de la hausse des températures grâce à une augmentation des saisons des cycles culturaux. Le blé pourra être semé plus tôt. Certaines cultures comme le maïs, le sorgho, le pois chiche vont arriver par le sud. Il y aussi le CO2 qui va favoriser la photosynthèse. A contrario, en ce qui concerne le pourtour méditerranéen et la partie centrale de l’Europe, les effets seront négatifs avec des sécheresses plus longues, des canicules plus intenses. L’agriculture va en faire les frais. Le changement climatique, ce n’est pas la disparition de l’agriculture mais un décalage vers le nord. Avec des limites cependant car ce décalage risque d’être très rapide. Il n’est pas certains que les agriculteurs et les filières agricoles disposent de suffisamment de temps pour s’adapter. On est toujours un peu à la traine. »

Et la Normandie ?

« Elle se situe au milieu de tout ça. On peut s’attendre à des rendements en blé à la hausse grâce au CO2, de même en colza et tournesol, une stabilité en maïs… À condition cependant de bien maîtriser l’irrigation et la vie du sol pour mieux garder l’eau. En résumé, des effets plutôt positifs en cultures d’hiver, neutres en culture de printemps et plutôt négatifs pour l’herbe avec une grosse pousse de printemps mais une perte de rendement en été. Autre effet positif pour la Normandie, l’émergence de nouvelles filières comme l’arrivée de la pêche d’ici 2040 à la place de la pomme ? In fine, en France, les régions les plus défavorisées sont celles au sud d’une ligne Bordeaux/Paris. »

L’agriculteur normand de demain a-t-il plus à craindre des canicules, de la douceur hivernale suivie de coups de gel tardif, du vent et des cyclones, de l’excès d’humidité à certaines périodes de l’année ?

« Il faudra être vigilant aux canicules et aux sécheresse estivales d’autant plus qu’il a moins l’habitude que son collègue du sud de gérer l’eau. Il pourrait aussi privilégier des techniques comme l’agriculture de conservation pour préserver l’humidité des sols. Tenir compte des paysages et des haies qui coupent le vent et limitent l’évapotranspiration. Tout cela s’inscrit dans la maîtrise du microclimat au niveau de la parcelle sans oublier l’hydrologie régénérative… Autre paramètre à considérer, le gel tardif puisque la floraison va être de plus en plus précoce. Par ailleurs, s’il ne faut pas forcément s’attendre à plus de vent, de grêle ou d’orage, on aura un peu plus de précipitations avec des excès d’humidité à l’automne et en hiver et un déficit estival. La répartition intra annuelle des précipitations sera différente. C’est gérable par une bonne maîtrise de l’eau et des retenues-réserves qui pourraient arriver en 2030 et devenir plus importantes d’ici 2040. »

Peut-on espérer en la science et les nouvelles technologies pour nous apporter des solutions durables ?

« Oui et c’est déjà le cas avec la génétique variétale qui a apporté des améliorations conséquentes. Le progrès technique, technologique, chimique (…) a multiplié par sept le rendement en blé en Normandie depuis 1945. Face aux nouvelles problématiques environnementales et climatiques, la sélection génétique variétale constitue toujours une réponse. On pourrait par exemple travailler sur un système racinaire du blé capable d’aller plus en profondeur pour chercher l’humidité. Je pense aussi au numérique, à la modélisation, à la satellisation… Il existe énormément de solutions pour l’agriculture mais elles doivent être adossées à des réponses agronomiques de terrain. Des réponses avec du bon sens paysan : évolution des dates de semis, évolution des pratiques culturales, évolution des filières… Chacune d’elles peut apporter son petit pourcentage d’amélioration. L’une n’est pas meilleure que l’autre, elles sont complémentaires. »

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