Les entreprises ont recours aux primes et aux avantages en nature mais elles ne les valorisent pas assez
Dans un contexte de pénurie de salariés qui touche de plus en plus le secteur, il devient impératif d’attirer et de fidéliser les talents.
Dans un contexte de pénurie de salariés qui touche de plus en plus le secteur, il devient impératif d’attirer et de fidéliser les talents.
Si la reconnaissance du travail a été mise en avant dans un précédent article (voir l’Union agricole du 18 septembre), une politique de rémunération cohérente s’avère être un levier essentiel pour répondre à ce défi. Cet article se penche sur les perceptions de la rémunération et des avantages au sein des entreprises agricoles, en soulignant les divergences entre les attentes des salariés et les pratiques des employeurs.
La rémunération est un sujet crucial dans un secteur où la pénurie de salariés est manifeste. Si les employeurs déclarent proposer une rémunération supérieure aux minimums conventionnels, cette perception semble parfois en décalage avec celle des salariés d’élevage, productions végétales et du paysage qui déclarent de leur côté être rémunérés au strict minimum prévu par la convention collective et les grilles de salaire. À quelques réponses près, on note que des salariés dans ces mêmes filières déclarent percevoir un salaire supérieur à ces minimums. Cette évocation confirme que les entreprises agricoles mesurent enfin le contexte concurrentiel du marché de l’emploi et identifient de plus en plus la rémunération comme un facteur déterminant pour attirer des candidats.
Le contraste entre les réponses des employeurs et des salariés sur la rémunération laisse supposer une méconnaissance des leviers de fidélisation qui composent la rémunération globale (primes, avantages en nature, ancienneté, etc.). Il est important de bien informer les salariés des critères qui interviennent dans leur rémunération fixe et variable et de bien valoriser auprès d’eux les efforts consentis par l’entreprise. On constate que la communication sur ces sujets semble plus efficace et mieux formalisée dans les entreprises de services, notamment les entreprises de travaux agricoles (ETA) car les réponses des salariés et des employeurs s’accordent parfaitement.
Les primes agissent comme des leviers de motivation complémentaires.
Les primes sont un levier de motivation largement utilisé dans les entreprises agricoles. En effet, elles présentent l’avantage de motiver les salariés en augmentant leur rémunération tout en s’adaptant à la santé financière de l’entreprise. Elles permettent aussi d’optimiser des charges grâce à des exonérations spécifiques. Quelle que soit la filière, employeurs et salariés déclarent y avoir recours. On constate, là encore, dans les filières d’élevage et de productions végétales de légers écarts entre les réponses des employeurs (qui les citent comme des outils très utilisés) et les réponses des salariés (qui les évoquent en 3e choix).
Pour éviter tous malentendus, le versement des primes doit respecter ces trois principes.
- Principe d’égalité de traitement : les primes sont attribuées de manière équitable entre les salariés d’une même catégorie professionnelle.
- Non-discrimination : les primes doivent être attribuées sans distinction, notamment basée sur le sexe, l’âge ou la situation familiale.
- Transparence : les primes liées aux objectifs ou à la performance doivent être encadrées par des critères clairs et précis.
Les modalités de versement des primes sont souvent fixées par les accords d’entreprise, les conventions collectives ou une décision unilatérale de l’employeur. Elles doivent être mentionnées sur le bulletin de paie. Lorsqu’une prime est conditionnée par des résultats ou des objectifs, il est indispensable que le salarié en soit informé en début de période d’évaluation et que les critères soient connus, précis, et mesurables d’où l’importance de faire des entretiens réguliers avec ses salariés.
Du prêt de matériel et des avantages en nature proposés par l’entreprise mais les salariés n’en ont pas toujours conscience.
Au-delà de la rémunération, les avantages peuvent offrir des conditions d’emplois meilleures ou limiter les charges du salarié. Parmi les plus cités, le prêt de matériel qui est mentionné surtout en élevage et en productions végétales. Les réponses montrent un consensus entre les questionnaires des employeurs et des salariés, ce qui n’est pas le cas sur la question des repas. Les employeurs relatent offrir le repas à leur salarié (108 en élevage, 42 en services/ETA particulièrement et 39 en végétal) et seulement 4 salariés en services/ETA et 38 en élevage en font état. C’est le signe évident que ce type d’avantage social n’est pas bien formalisé ou que la communication autour des avantages en nature est défaillante dans les entreprises agricoles.
À noter, que les repas sont des avantages en nature soumis à cotisations, il ne faut pas oublier de les déclarer sous peine de s’exposer à des amendes.
De nombreux salariés (82 réponses) déclarent ne bénéficier d’aucun avantage. Ils ont été interrogés sur leurs envies en la matière. La principale réclamation vise l’indemnisation des frais kilométriques domicile-travail. Étonnamment, parmi les salariés non bénéficiaires d’avantages en nature, presque la moitié (40) a indiqué ne vouloir aucun changement. Les conditions de rémunération fixes et variables étant satisfaisantes, ils n’expriment aucun besoin supplémentaire.
En milieu rural, les frais liés aux déplacements domicile/travail sont un vrai frein à l’emploi.
Si les entreprises ont l’obligation de participer aux frais de transport en commun de leur salarié, rien ne les oblige à indemniser les déplacements trajets domicile-travail effectué avec la voiture personnelle du salarié. C’est pourtant sur ce point que les attentes sont les plus fortes. Les salariés, notamment en élevage (32 salariés), en végétal (15) et dans les services/ETA (6), souhaitent que leurs frais de déplacement domicile-travail soient partiellement pris en charge. En effet, en zone rurale, selon les entreprises et les missions, les trajets peuvent être longs et fréquents (plusieurs A-R par jour entre les adhérents de Cuma ou de services de remplacement par exemple). Les entreprises disposent de plusieurs solutions pour pallier cette difficulté : le versement d’une prime carburant, l’application d’indemnités kilométriques ou la fourniture d’une voiture de fonction.
Les salariés expriment une préférence pour la prise en charge des frais kilométriques mais ils sont également nombreux à réclamer une voiture de fonction. Les salariés évoquent une usure accélérée de leur véhicule personnel et des frais répétés liés au mauvais entretien des routes. Il est primordial de se rappeler que les frais kilométriques du deuxième voyage pour les travailleurs à temps partiel doivent être remboursés conformément à la convention collective.•
Des outils financiers pour une rémunération attractive
Les missions et les responsabilités confiées au salarié doivent être en adéquation avec la classification des emplois prévue par la convention collective applicable, afin de pouvoir déterminer le salaire minimum applicable correspondant à l’emploi occupé. Aussi, appliquer une rémunération valorisante permet d’apporter un sentiment de considération au salarié et est souvent le premier levier d’action pour attirer et fidéliser les salariés.
Au cours de la vie professionnelle du salarié, il est possible d’augmenter régulièrement la rémunération du salarié dans le cadre de la politique salariale de l’entreprise afin de récompenser les compétences et l’investissement dans l’entreprise. Ceci peut se manifester par une augmentation du taux horaire de base du salarié ou par l’instauration de primes. Attention, l’augmentation de la rémunération ne s’accompagne pas automatiquement d’une augmentation du coefficient du salarié dans la grille de classification si ses fonctions, ses responsabilités et ses activités ne changent pas. D’autres avantages financiers existent et peuvent venir enrichir la politique salariale de l’entreprise, comme la mise en place d’un dispositif d’épargne salariale (intéressement, plan d’épargne entreprise), l’attribution de chèques cadeaux, de tickets-restaurants, repas fournis sur place ou encore la mutuelle entreprise…
À noter également, que la stratégie de fidélisation des salariés ne repose pas uniquement sur le salaire, des outils non financiers existent, tels une ambiance de travail sereine, une bonne communication employeur-salarié, la prise en compte de l’articulation vie professionnelle-vie privée, l’évolution dans l’emploi par la formation régulière ou encore la reconnaissance du travail bien fait. Ce sont autant d’atouts qui favoriseront le bien-être au travail et donneront envie à vos collaborateurs de s’investir durablement dans l’entreprise.
Pascaline Bellier de Fromont, FRSEA Normandie
Philippe MARIE, gérant du Gaec du Val Hébert (Calvados). Trois associés, élevage bio en bovins lait-polyculture élevage à Val d’Arry.
« Le Plan d’épargne comme levier de fidélisation et garant d’une relation gagnant-gagnant »
Nous sommes une exploitation comptant 130 vaches laitières sur une surface d’environ 200 hectares en agriculture biologique. Lorsque je me suis installé en 2007 sur la commune de Val-d’Arry, nous étions plusieurs associés au sein du Gaec. Mais en 2008, je me suis malheureusement retrouvé quasiment seul à gérer la ferme, épaulé par l’épouse de mon ancien associé et avec un réel besoin de main-d’œuvre. J’ai alors embauché un vacher, mais j’ai rapidement été confronté à la problématique de fidélisation. J’ai essayé plusieurs primes d’intéressement, comme un pourcentage sur les veaux sevrés ou encore un montant basé sur la marge brute dégagée par vache. Mais ce système s’est révélé complexe à gérer, et j’ai finalement abandonné cette idée avec mon salarié. En revanche, en 2012, avec l’arrivée de Lénaïc en tant que salarié, qui est aujourd’hui mon associé depuis 2013, j’ai choisi d’essayer un nouvel outil, le Plan épargne salariale (PE). C’est un système gagnant-gagnant qui offre des avantages aussi bien pour le salarié que pour l’entreprise.
Le PE, comme son nom l’indique, permet de constituer une épargne salariale défiscalisée. Cette épargne est bloquée pendant 5 ans, mais des déblocages anticipés sont possibles dans certains cas tels qu’un mariage, une naissance, ou l’arrivée d’un troisième enfant, sans oublier la rupture du contrat de travail, bien entendu.
Le salarié peut verser sur son PE un montant pouvant aller jusqu’au quart de son revenu annuel. En contrepartie, l’entreprise peut abonder à hauteur de 300 % du montant versé par le salarié, dans la limite de 3 768 euros si celui-ci verse 1 256 euros. Ce dispositif est avantageux aussi bien pour les salariés que pour les gérants, qui peuvent en bénéficier eux aussi. L’abondement peut être revu à la baisse en cas d’année difficile, mais il faut alors en informer les salariés via un avenant. Ce pourcentage doit être fixe et identique pour l’ensemble de l’équipe. Dans tous les cas vous devez afficher clairement le montant de l’abondement proposé par l’entreprise. Le PE peut être alimenté à tout moment dans l’année, mais il faut faire attention aux périodes au niveau de l’exercice comptable, car l’abondement peut venir fragiliser la trésorerie.
Il ne faut pas oublier que la participation est obligatoire dès que l’entreprise atteint 50 salariés. Le PE peut être appliqué dès le premier salarié. En cas de difficultés financières, il est possible de refuser le versement de l’abondement employeur, sans pour autant interdire au salarié d’épargner. Le PE est disponible auprès de votre banque professionnelle.
Au-delà de l’aspect avantageux pour le salarié, ce système facilite à mon sens, la reprise de nos exploitations, puisqu’il permet au salarié éventuellement intéressé de se constituer un apport financier pour le moment où il souhaitera s’installer, ce qui constitue un cas de déblocage anticipé du PE. Par exemple, cela aurait pu être le cas d’Arnaud, ancien salarié pendant 5 ans au sein de l’exploitation devenu notre associé depuis l’année dernière.
De manière générale, ce dispositif permet de se constituer une épargne défiscalisée, et en quelque sorte d’augmenter la rémunération via d’autres leviers, là où la rémunération seule peut parfois être plus contraignante. C’est donc un excellent levier de fidélisation, de transmission et de valorisation du travail fourni. Je vous encourage donc vivement à mettre en place ce type de système, ou même à vous renseigner auprès de votre banque pour en connaître les conditions de mise en place.
Propos recueillis par Marc Lemonnier, Can
Dans le cadre du Contrat d’objectifs porté par la Région Normandie sur le thème de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), l’Association des salariés agricoles de Normandie, la Chambre d’agriculture de Normandie, EDT Normandie, la FRSEA Normandie, l’UNEP, Activ’Emploi ainsi que l’Anefa ont conduit des enquêtes pour mieux comprendre les attentes des salariés vis-à-vis de leur emploi et de leurs employeurs, ainsi que celles des employeurs envers leurs salariés.
Ces enquêtes s’appuient sur les réponses de 151 salariés et de 574 employeurs, représentant à eux seuls 2 664 salariés.