HÉLÈNE PAILLETTE, productrice de spectacles de musique classique
« Les Concerts à la ferme sont l'occasion de rapprocher les villes et les campagnes »
Quand démocratiser la musique classique passe par les fermes : productrice de spectacles de musique classique (opéra, musique de chambre...), Hélène Paillette, havraise d'origine, a développé le concept des Concerts à la ferme. Une vingtaine de dates ont été programmées pour la saison estivale dont trois, pour la première fois, en Seine-Maritime (voir encadré).
Quand démocratiser la musique classique passe par les fermes : productrice de spectacles de musique classique (opéra, musique de chambre...), Hélène Paillette, havraise d'origine, a développé le concept des Concerts à la ferme. Une vingtaine de dates ont été programmées pour la saison estivale dont trois, pour la première fois, en Seine-Maritime (voir encadré).
Comment sont nés les Concerts à la ferme ?
"Pendant le Covid, en 2020, à l'image de nombreux secteurs d'activité, la culture a été considérée comme non essentielle. Le ministère de la Culture a demandé aux artistes de sortir de leurs scènes traditionnelles, par essence des bâtiments confinés et d'investir d'autres "lieux de vie". C'était un vrai défi pour une profession à cette époque en grande souffrance. Beaucoup de musiciens sont restés sans travail pendant plus de huit mois. C'est en allant chercher quelques fruits et légumes dans une exploitation en circuit court de l'Oise que m'est venue l'idée de faire sortir les musiciens. Je me suis aussi inspirée de mon expérience de productrice de la tournée "Un été en France" avec Gautier Capuçon."
Cette tournée estivale sillonne les communes rurales et permet d'aller à la rencontre des habitants de ces lieux parfois très isolés. La barrière psychologique n'a-t-elle pas été trop compliquée à franchir ?
"Absolument pas, ni du côté des musiciens ni du côté des agriculteurs qui m'ont d'ailleurs facilité la tâche. Je pense en particulier à l'ancien président de la Chambre d'agriculture de l'Oise, Hervé Ancellin, qui a permis de jeter un pont entre les agriculteurs et la musique. Je remarque d'ailleurs que ceux qui nous accueillent sur leur exploitation sont mélomanes. Ce qui facilite le contact".
Quel objectif recherchez-vous à travers ces concerts à la ferme ?
"Tout simplement à démocratiser la musique classique, à la rendre accessible à ceux qui n'ont pas la possibilité et le bonheur de venir voir des concerts dans les salles parisiennes, que ce soit l'Opéra Garnier, l'Opéra Bastille, la salle Pleyel, la salle Gaveau, dans les Zénith ou ailleurs. Je cherche aussi à rompre l'isolement de certains agriculteurs et valoriser le travail qu'ils réalisent au quotidien et qui est souvent incompris. Avant le concert, je leur donne la parole. Ils expliquent ce qu'ils produisent, pourquoi, comment, ce que leurs productions deviennent. Quand le concert à lieu sur une exploitation viticole ou de canards gras, les spectateurs ont toujours droit à un verre de l'amitié ou à une dégustation. D'une certaine manière, c'est l'occasion de rapprocher les villes et les campagnes."
Les spectateurs ressortent-ils heureux de cette expérience ?
"Nous faisons le plein à chaque fois. C'est-à-dire que la jauge maximale pour un concert à la ferme ne doit pas dépasser les 240 personnes. Ce nombre est suffisant pour conserver une certaine convivialité, permettre des échanges fructueux. Il permet aussi de déployer des équipements adaptés à la configuration des lieux, que ce soit la sonorisation ou l'éclairage. Je tiens aussi à la qualité des groupes qui se produisent, car je m'interdis de donner des concerts au rabais. J'ajoute que les lieux, en règle générale des granges, disposent d'une très bonne acoustique, grâce au mélange pierre et bois. Il faut aussi s'adapter aux conditions météorologiques, notamment quand un été très pluvieux comme nous l'avons connu en 2024 vient à humidifier les marteaux du piano à queue... Mais nous nous adaptons et il est essentiel pour nous d'offrir une prestation de qualité pour que les spectateurs passent un très agréable moment."
La magie arrive-t-elle à prendre ?
"Je le pense. Les agriculteurs et les spectateurs ressortent généralement enthousiastes de ces concerts qui ne sont pas que classiques. En fonction du calendrier, des disponibilités et d'autres critères, le répertoire s'élargit au jazz, à l'opérette en particulier. Il faut voir la tête des personnes quand la chanteuse de Carmen vient s'asseoir sur les genoux des messieurs pendant son tour de chant... Le mélange des genres est très apprécié et en plus de faire découvrir un univers peu familier à quelques personnes, nous mettons en valeur, en première partie, des chorales et fanfares locales."
Quels sont vos projets pour 2026 ?
" Idéalement, j'aimerais pouvoir organiser une saison d'hiver, car cette période, morte-saison pour le secteur agricole, se prêterait bien à ces événements. Mais il me faut ici trouver des fermes plutôt orientées vers l'agrotourisme, disposant de pièces intérieures assez vastes. Je souhaiterais aussi organiser un concert sur le ring du Salon international de l'agriculture. Ce serait formidable. Je sais qu'il y a déjà eu des événements sportifs comme des matchs de football et de rugby. Les 25 concerts organisés pour la saison 2025 (nous n'étions qu'à 10 en 2023) le sont sous le haut patronage du Centre national des expositions et concours agricoles (Ceneca) coorganisateur avec Comexposium du Sia. Nous avons bon espoir que notre demande reçoive une réponse favorable... "•
Propos recueillis par Christophe Soulard et Laurence Augereau
Témoignage
La Ferme de Bonnetot, située à Tôtes, accueille l'un des trois concerts programmés en Seine-Maritime. Cette exploitation en agriculture biologique est dirigée par Gaëtan Delacroix et sa femme. Ce producteur de jus de pomme, d'eaux-de-vie et d'apéritifs notamment, explique ce qui l'a décidé à ouvrir sa ferme pour l'occasion. "Plusieurs facteurs nous ont conduits, ma femme et moi, à participer à une telle opération. J'ai tout d'abord des enfants musiciens, qui jouent dans un orchestre, et la famille est dans son ensemble sensible à la musique. Alors accueillir ces musiciens d'une telle qualité chez nous est une très belle opportunité d'écouter d'excellents morceaux de musique et de faire découvrir à d'autres un répertoire qui mélange les genres. Nous sommes ensuite adhérents du réseau Bienvenue à la ferme et nous avons l'habitude de recevoir des écoles, des groupes. Notre ferme dispose également d'un ancien hangar de stockage qui peut abriter les personnes en nombre et permettre à l'ensemble de jouer dans de bonnes conditions. Et puis pour couronner le tout j'ai un temps de parole qui me permettra de parler de ce que nous produisons sur la ferme et de toucher directement les gens présents à qui d'ailleurs on va proposer un petit truc à grignoter, des produits de la ferme à goûter et puis certainement des tartines avec les produits des voisins, des collègues". Rendez-vous est donc donné le 23 juillet à 19 heures.
Laurence Augereau
Informations pratiques
Trois fermes sont partenaires de l'opération en Seine-Maritime :
22 juillet, à 19 heures : Graine en Main à Étainhus ;
23 juillet, à 19 heures : Ferme Bonnetôt à Tôtes ;
24 juillet, à 19 heures : Ferme David à Sassetot-le-Mauconduit.
Tous les concerts sont à participation libre avec réservation obligatoire sur resa.calf@gmail.com ou 01 40 36 04 16 (programmation sur www.concertsalaferme.fr).
La direction artistique est assurée par Hélène Paillette et Arnaud Thorette de l'Ensemble Contraste.