Égalité professionnelle : déconstruire les stéréotypes dès le lycée
Malgré des avancées, des inégalités persistent entre hommes et femmes travaillant en agriculture.
Malgré des avancées, des inégalités persistent entre hommes et femmes travaillant en agriculture.
Pour comprendre comment ces inégalités naissent et s'exercent, la Chambre d'agriculture de Normandie (Can) a questionné les jeunes dans cinq centres de formation agricoles sur leur vision du métier et l'impact du genre dans l'accès et l'exercice du métier. L'étude montre des stéréotypes encore bien ancrés. Ces représentations dans les têtes des jeunes nourrissent les inégalités, les discriminations, voire les violences sexuelles ou sexistes. C'est un esprit d'égalité qu'il faut bâtir dès l'enfance puis sur les bancs de l'école pour qu'il s'exprime ensuite dans la sphère professionnelle.
Les stéréotypes de genre reculent. En France, la part de la population adhérant à l'idée que « les femmes devraient rester à la maison » a ainsi été divisée par deux entre 2000 et 2014 (de 44 % à 22 %). Et notre pays se situe parmi les moins “stéréotypés”, sur le podium européen derrière la Suède et l'Islande (European Values Study de 2017). Pourtant, de nombreux stéréotypes ressurgissent chez les jeunes (18-24 ans), alors que les plus jeunes étaient précédemment les plus “progressistes”. C'est notamment le cas sur la vocation parentale des mères : en 2022, 56 % des 18-24 ans pensent que « les mères savent mieux répondre aux besoins des enfants que les pères », contre 50 % en 2014. Et la part des 18-24 ans se disant « tout à fait d'accord » avec l'affirmation selon laquelle « les filles ont autant l'esprit scientifique que les garçons » a nettement reculé, de 62 % en 2014 à 53 % en 2022 (Rapport – Lutter contre les stéréotypes filles-garçons – France Stratégie 4 mai 2025).
Les élèves en formation agricole donnent leur avis
Une enquête a été menée à Sées (Orne), à Coutances (Manche), à Giel Don Bosco (Orne), à Vire (Calvados) et à la Ferté-Macé (Orne) auprès de 106 élèves, majoritairement âgés de 15 à 16 ans. L'échantillon était composé de 64 % de garçons et 33 % de filles. Dans le cadre d'une intervention sur l'égalité professionnelle, ils ont répondu anonymement à une série de questions portant sur leur vision de l'emploi, de l'égalité professionnelle, des qualités pour exercer le métier et les conditions de réussite selon le genre.
Des inégalités pressenties dès l'entrée dans le métier
Bien qu'ils soient encore sur les bancs de l'école, les jeunes lycéens ont déjà été confrontés à des « recruteurs » que cela soit dans le cadre d'une recherche de stage ou d'apprentissage. Ils ont donc facilement évoqué leur avis à la question « Le genre peut-il influencer les chances d'être recruté sur une exploitation ? » et à 89 % ils ont répondu « oui ». Cette opinion est partagée par 97 % des filles et 87 % des garçons. Les rares réponses négatives viennent surtout de garçons.
Lors des échanges, certains stéréotypes ont été évoqués spontanément, comme la faiblesse physique des femmes ou la maternité, montrant qu'ils restent bien ancrés dans le monde agricole.
Le sujet de l'entrepreneuriat est moins évident pour ces jeunes, 34 élèves n'ont pas souhaité se prononcer sur les questions relatives à l'installation.
Toutefois, une majorité d'élèves (97 sur 106), filles comme garçons, considèrent que les femmes rencontrent plus de difficultés pour s'installer en agriculture.
Les freins évoqués s'appuient sur des retours d'expériences de proches, parents ou amis. Ils évoquent naturellement les difficultés d'accès au foncier, au financement, mais aussi l'incapacité des femmes à pouvoir endosser les responsabilités ou assurer la charge de travail requis pour le métier. Très peu de répondants (5 sur 106) estiment que les hommes sont défavorisés au moment de l'installation, ce qui montre que les inégalités sont perçues comme pesant surtout sur les femmes.
Les principes de division sexuée du travail et de ségrégation sexuée des métiers sont déjà intériorisés chez les lycéens.
Les stéréotypes genrés influencent la répartition des tâches dès le plus jeune âge.
De multiples travaux montrent que le déterminisme social alimente particulièrement ces représentations de genre. Les interactions sociales et l'environnement familial nourrissent de façon inconsciente les modèles et les clichés qui enferment les filles et les garçons dans des métiers ou dans des tâches. Ces stéréotypes légitiment les inégalités entre les femmes et les hommes et contribuent à leur maintien. Si l'éducation est censée ouvrir l'horizon des enfants, permettre aux jeunes d'envisager tous les possibles.
Notre étude montre qu'au lycée, les jeunes se conforment déjà à ces modèles où les aptitudes et les rôles sociaux sont définis par le genre.
Quel que soit leur sexe, ils adhèrent à la ségrégation sexuée des métiers et à la division sexuée des tâches. Ainsi, les réponses orientent le travail des femmes vers la traite des vaches (38 % tout confondus), la gestion administrative (32 % tout confondu), le nettoyage (19 % tout confondu) et les soins aux animaux (11 % tout confondu). À l'inverse, les tâches préférentiellement exercées par les hommes sont la conduite d'engins (28 % tout confondu), le port de charge (22 % tout confondu), les tâches physiques (14 % tout confondu) et les travaux des champs (10 % tout confondu). Selon leurs déclarations lors de ces interventions, les étudiants se projettent dans ce schéma pour leurs orientations futures. Retrouvez les résultats de l'étude complète dans la page Agripreneuse.
Lutter contre les stéréotypes
Les femmes ont toujours été actrices de l'agriculture mais leur contribution a tardé à être reconnue. Aujourd'hui, le secteur doit faire face à une diminution du nombre de ses exploitants et aux départs massifs à la retraite prévus dans les prochaines années.
Comme le cite Annie Genevard, « dans un contexte où le renouvellement des générations est un enjeu majeur, se priver d'un vivier représentant 52 % de la population serait une erreur stratégique ».
Cependant, pour attirer les femmes, l'agriculture doit améliorer son image. Cette démarche passe par l'éducation des jeunes à la réalité du monde agricole ainsi que par la déconstruction des stéréotypes tels que nous les avons décrits dans notre étude. Elle doit aussi s'intéresser aux autres freins : accès au foncier, manque de visibilité, manque de reconnaissance de leurs compétences... Autant de difficultés qui brisent les vocations, démotivent ou conduisent à un abandon chez les porteuses de projet.•