Réinvestir dans l’herbe pour réduire les coûts alimentaires
Franck Dehondt (Somme) a doublé sa surface d’herbe et investi dans des clôtures pour fonctionner en pâturage tournant dynamique. Ses laitières valorisent bien mieux le pâturage.
Franck Dehondt (Somme) a doublé sa surface d’herbe et investi dans des clôtures pour fonctionner en pâturage tournant dynamique. Ses laitières valorisent bien mieux le pâturage.
Seize tonnes de matière sèche (MS) pour 1 ha de maïs, contre 7 t de MS d’herbe pour la même surface. « Ce résultat me questionnait. J’étais sûr que je pouvais faire mieux. C’est ce qui m’a incité à me tourner vers le pâturage tournant dynamique », explique Franck Dehondt, éleveur laitier à Lucheux (80), près de Doullens. Il y a trois ans, il se rapproche donc de l’association Elvea Hauts-de-France et intègre un GIEE “dérobées fourragères”. « Je ne me sentais pas de me lancer seul. »
La première année de mise en place a nécessité de l’investissement. « J’ai décidé de réimplanter des prairies temporaires autour du bâtiment d’élevage (aidé par une Maec remise en herbe, pour une durée de cinq ans), pour doubler la surface. » De 7,5 ares par vache laitière (VL), la surface d’herbe est passée à 15 ares/VL, soit 9 ha de prairie pour les 60 VL du troupeau. Un mélange suisse (ray-grass, trèfle, fétuque, fléole, dactyle, pâturin) a été semé au printemps, « car le trèfle pousse mieux au printemps ». 100 kg d’avoine ont aussi été ajoutés, pour le pouvoir nettoyant. Le premier été, cela a permis une récolte pour les génisses. Ces 9 ha ont ensuite été divisés en 28 parcs. L’éleveur a choisi une clôture High Tensile pour le tour, et du fil souple pour les séparations. Un abreuvoir est installé pour quatre parcs. Pour les remplir, des tuyaux ont été déroulés sur le sol. « C’est du boulot, mais ensuite on est tranquille pour des années. »
Sortir le plus tôt possible
Depuis, le temps de pâturage a été largement augmenté. « Mon objectif est de sortir les vaches le plus tôt possible en saison, même si au début, ce n’est que deux ou trois heures par jour. » Cette année, les premiers brins d’herbe ont été broutés le 4 mars. Elles y resteront jusqu’à ce que le sol ne soit plus assez portant. Les vaches restent 24 h par parc. Il peut parfois s’agir de deux fois 12 h. La vitesse de rotation ? « C’est la vitesse de la pousse de l’herbe qui la dicte. »
Pour Franck Dehondt, ce n’est pas la taille de l’herbe qui compte, mais son stade physiologie. « Le stade 3 feuilles déclenche le pâturage. Il offre le meilleur équilibre entre rendement et valeur alimentaire. » Les vaches seront retirées du parc avant qu’elles n’attaquent la gaine du brin d’herbe. À ce stade, la plante se régénère grâce à la photosynthèse et ne puisse pas dans ses racines. Le surpaturage est ainsi limité, et la pousse des adventices également. Le temps de repousse de la première feuille est un indicateur pour l’éleveur. « Si elle met dix jours à sortir, je sais que l’herbe mettra dix jours de plus à atteindre le stade 3 feuilles. »
L’herbe pousse toujours à un moment
L’économie est largement faite en pleine période de pâturage. L’hiver, le troupeau a une ration de maïs ensilage, pulpes surpressées et tourteaux de colza. Ces pulpes ne sont plus utiles l’été. « Je peux réduire jusqu’à trois quarts de la ration. » Même en année sèche, l’éleveur y voit un intérêt. « Il y a toujours un moment de l’année où l’herbe pousse. » Les économies sont aussi réalisées sur l’entretien des pâtures. Aucun travail mécanique. 50 unités d’azote et 40 unités de souffre sont apportées. La fumure est naturelle. « Comme les animaux sont concentrés dans une petite surface, la répartition des bouses est bonne. » Les vaches, elles, ont vite pris l’habitude de changer de parc. « Elles savent qu’elles ont de l’herbe appétante à chaque fois que j’ouvre la porte. Le seul travail est de les rentrer et de les sortir pour la traite, et ça se fait tout seul. » Enfin, la consommation de paille, pour le bâtiment en aire paillée, est réduite.
En plus des économies, Franck Dehondt repère d’autres aspects positifs. « Les mammites sont moins fréquentes, parce que les vaches souffrent moins de la chaleur. » Surtout, l’éleveur a trouvé le fonctionnement qui correspond à son système et à sa philosophie. •
Rémy Pigneaux, spécialiste chez Agro Fourrages
À chaque système sa solution
Comment orienter l’éleveur vers un système de pâturage qui lui convient ?
« Pour chaque système, on peut trouver une solution qui convient, avec un objectif : valoriser l’hectare d’herbe au maximum, avec un temps de travail minimum. En élevage laitier, il faut des pâtures à proximité du bâtiment d’élevage. Même un système robot de traite peut fonctionner avec du pâturage, grâce aux systèmes de portes intelligentes. En pâturage tournant dynamique, le premier critère de réussite est une bonne découpe du parcellaire. »
Y a-t-il des règles à respecter quant au choix des espèces ? Et pour la transition des vaches vers l’herbe ?
« La question ne se pose pas quand il s’agit de prairies permanentes avec une flore naturelle déjà installée. S’il s’agit d’une implantation, il faut choisir des espèces adaptées au pâturage, qui poussent à la même vitesse. Mieux vaut diversifier la flore d’un parc à un autre pour étaler la pousse dans le temps. La transition, elle, se fait en douceur. Les vaches sortent très tôt, parfois en février, mais pour quelques heures seulement. Pendant les premières semaines, elles ont toujours la même quantité d’herbe quotidienne. L’augmentation du temps de pâturage, et donc du volume ingéré, est progressive. »
Quelle économie peut être espérée ?
« En comptant l’engrais, la récolte, le transport et toutes les charges liées, un fourrage récolté coûte entre 100 et 120 euros/t de MS. Un fourrage pâturé, lui, revient à 12 ou 15 euros/t de MS. C’est l’alimentation la moins coûteuse. Après l’investissement de départ, en clôtures et abreuvoirs, la seule charge éventuelle est un petit apport d’azote ou de souffre. »